Depuis toujours, j'avais ce rêve de découvrir ce Vietnam qui avait fait tant souffrir, ce Vietnam dont les images d'enfants, de désolation et de bombardements revenaient sans cesse me hanter. On disait de ce pays caméléon qu’il respirait désormais la joie, que ce pays aux mille saveurs, odeurs et marchés flottants souhaitait tourner la page et s'ouvrir au tourisme. Nul doute, j’étais fin prêt pour le Vietnam, pour savourer sa cuisine et apprendre des Vietnamiens leur goût des épices, des herbes, du thé ou encore, de ces pêcheurs dans les marchés des localités avoisinantes.
Good morning Vietnam
Dès mon arrivée à Saïgon, qui porte le nom d'Hô Chi Minh depuis la fin du régime, une moiteur presque agréable enveloppait d'humidité les bougainvilliers, faisant ainsi ressortir des parfums sucrés qui se mêlaient au Pho, la soupe de tous les instants au Vietnam, qui se conjugue d'ailleurs de multiples façons. Nous quittâmes Hô Chi Minh pour nous rendre plus au sud, à Can Thô, là où bon nombre de surprises nous attendaient. Il était six heures, le jour se levait à peine sur Can Thô, laissant présager une journée ensoleillée, moite et humide. Je ne pus alors m'empêcher de fredonner dans ma tête la musique du film Good morning Vietnam et d'y revoir Robin Williams en fond de scène dans ma tête. J'avais le profond sentiment de vivre des moments d'exception. Mon séjour était pur bonheur, j'allais découvrir le grand fleuve Mékong et faire la cuisine dans une jonque. Toutefois, avant de redescendre l'un des huit bras du Mékong en savourant la vie de tous les jours, il me fallait consommer le café vietnamien, un café fort accompagné de lait concentré sucré, véritable exploit en soit, car peu importe la chaleur, ce café sucré, consommé froid ou chaud, appartient au quotidien des Vietnamiens. C'est probablement là l'une des évidences du passage des Français au Vietnam.
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Les marchés flottants
Au Vietnam, on ne peut imaginer la vie sans ces marchés flottants qui reflètent le quotidien de ces gens simples. Ces derniers partagent chaque jour leurs connaissances sur des embarcations, qui deviennent tantôt dépanneurs, tantôt commerces d'utilité, mais qui, dans tous les cas, constituent leur demeure ou leur petit abri de fortune. Madame Vinh et son mari - originaire de France - possèdent trois bateaux de bois, qu'ils ont aménagés en bateaux de croisière. Et leurs bateaux n'ont absolument rien à voir avec les grandes embarcations de luxe sillonnant les océans, bardés de touristes en quête d'exotisme et vivant dans un confort digne d'un palace. Toute de soie vêtue, Ann, telle une duchesse, nous reçoit avec le cérémonial qu'offrent les Vietnamiens aux étrangers en visite : petite serviette parfumée au jasmin et jus de mangue à la menthe.
Tout le monde à bord!
Les bateaux en forme de jonques de Madame Vinh, malgré leur modestie, sont toutefois équipés de toutes les commodités, incluant douches et couchettes, et garantissent un certain niveau de confort. Ils comportent entre cinq et douze couchettes selon les bateaux, répondant ainsi aux normes de sécurité du pays. Nous embarquons sur le Bassac II, l'un des plus petits bateaux comprenant cinq couchettes.
Le port d'attache est situé à Can Thô, une petite ville du Sud-Est installée sur le delta du Mékong. L'objectif du voyage sur le Bassac II est de descendre ce fleuve mythique durant trois jours afin d'y découvrir l'effervescence du commerce qui s'y déroule, mais aussi de s'arrêter en égrainant le temps, pour admirer la faune et la flore locale. Et, évidemment, de participer à la vie active des gens du Mékong. Chaque minute est pur émerveillement. On a l'impression de vivre ce que devait être la vie partout avant que le modernisme n'envahisse notre civilisation. Au fur et à mesure de notre périple, nous rencontrons une multitude d'embarcations qui transportent de tout.
Fruits et légumes récoltés en amont ou péniches à fond plat contenant des chargements de bambou, ce bois magique qui sert autant à la construction qu'à la fabrication de nasses ou de paniers. Vers quatorze heures, tandis que le soleil brille de tous ses feux, l'équipage organise une escale afin de découvrir une plantation de durians. Ce fruit acidulé des Chinois à l'odeur fétide et interdit de présence à bord des autobus ou dans les hôtels attire néanmoins les gourmets par sa finesse et son goût, à mi-chemin entre ceux de la banane, du litchi et de la mangue. Rien pour me faire fuir, bien au contraire, car nous décidons d'un commun accord avec Ann Vinh de cuisiner le durian sur le bateau, sans savoir encore ce que je pourrai bien faire de ce fruit.
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Cuisine à bâbord
Cuisiner à bord d'une jonque relève d'un exploit digne du Cirque du Soleil. Comme dans tous les bateaux du genre, l'espace est limité et pour la plupart, réservé en grande partie aux commodités du froid, conservation oblige. Tout est quand même adapté pour une cuisine de type asiatique sans prétention ni artifices. L'essentiel prime, en toute modestie. L'aliment, d'une fraîcheur exemplaire, est toujours mis de l'avant et répond aux normes des propriétaires, dans la plus grande des sécurités alimentaires et avec une finesse et un exotisme assurés.
C'était donc une première pour nous deux et la frénésie pouvait se lire sur nos visages. Pour Ann, l'idée du durian vu par un Occidental était excitante. Pour moi, c'était l'appréhension et la méconnaissance d'un fruit aussi décrié que louangé. J'ai suggéré de faire selon la coutume asiatique, des raviolis frits, tout en proposant d'utiliser les produits que nous trouverions dans le petit marché local près du lieu d'amarrage. Nous compléterions avec les ingrédients disponibles sur le bateau. Feuilles de pâte de blé, farine de riz, lait de coco, sucre de palme, oeufs, citron et piment allaient donc constituer, avec le durian, la base de notre recette. Tout l'équipage était attentif à la chose. La veille, j'avais pu apprivoiser la texture et le goût du fruit en visitant une plantation de durians, me préparant ainsi au pire. Un pire qui n'arriva point et qui, au contraire, sut me convaincre du bien-fondé de l'usage de ce fruit exotique.
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En cuisine!
Pour commencer, on mélangea la purée du fruit avec du jus de citron afin de créer un mélange un peu acide. Toutefois, il fallait à tout prix alléger le mélanger pour la farce soit acceptable et mangeable. Alors que je fouettais deux blancs d'oeufs à la fourchette, je pus admirer, par le seul hublot de la cuisine, le sourire d'un enfant dont la bouche était collée à la vitre. Il semblait se demander ce que je pouvais bien faire dans cette minuscule cuisine. En incorporant les blancs d'oeufs à la pulpe du fruit, le mélange devint par enchantement onctueux, presque rafraîchissant, prêt pour qu'on y ajoute cette teinte d'exotisme pimenté qui donne souvent à la cuisine, en cette partie du Vietnam, des allures incendiaires. Un petit piment haché ajouta donc à la recette cette saveur piquante tant souhaitée.
On emprisonna ensuite la farce dans des carrés de pâte de blé badigeonnés de jaune d'oeuf. Il restait à préparer l'essentiel : ce jus, cette sauce miraculeuse qui confère à tous les plats sud-asiatique du monde ses lettres de noblesse. En ajoutant le sucre de palme dans le wok, j'avais quelques appréhensions, ne sachant guère comment l'aliment allait physiquement réagir. Des odeurs de caramel odoriférantes se dégagèrent, pour remonter jusque sur l'avant-pont, titillant ainsi les narines du capitaine, qui ne put s'empêcher de venir voir. On assista à l'osmose de la caramélisation, puis en retirant le caramel blondit par le feu, il me fallut ajouter du lait de coco et continuer à mélanger les deux matières afin qu'elles ne fassent qu'un. L'union était parfaite, le mariage accompli, il ne nous restait plus qu'à frire les raviolis et à les ajouter à la sauce... puis à les déguster sur le pont du bateau.
Cette recette fera désormais partie de mes recettes et surtout, de cet incroyable voyage vécu sur le Mékong. Tout pour me rappeler que le travail que j'avais à faire se nommait plaisir et que ce dernier porte l'être à l’évasion et au bonheur.
Enfin, durant la dernière journée, j'en profitai à coeur joie. Il me fut donné de humer, de goûter, de sentir, et de ressentir ce que ce pays avait à offrir : joie et beauté. Les trente heures de voyage en avion n’étaient plus qu'un mauvais souvenir. Il fallait bien le purgatoire pour apprécier le paradis. Cette fois-ci, j'étais évadé du reste du monde et je savourais mes péchés...
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